Abstracts > Extension du domaine du care

  Workshop n°3 - Expandable(s) scope of care 

Discussant : Vincent Goosaert | EPHE - GSRL

Workshop chair : Cao Vy | AMU - IrAsia

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Taking care of history’s "bitter deaths" : caring and repatriating Koreans who died during Japanese colonization
Florence Galmiche | Université de Paris - Centre Chine, Corée, Japon (CCJ)

Depuis les années 2000, plusieurs dizaines de cérémonies sont organisées annuellement pour les « âmes amères » (wŏnhon冤魂) des morts de la colonisation japonaise. En 1945, le Japon compte plusieurs milliers de dépouilles de Coréens, décédés dans le cadre de la mobilisation coloniale de main d’œuvre. Ces morts n’ayant pas pu être enterrés selon les normes coréennes, ils se trouvent en suspens : dans l’attente des rites nécessaires, éventuellement d’un rapatriement. Certaines dépouilles sont perdues, d’autres enterrées sommairement ou stockées sous forme de cendres dans diverses entreprises ou institutions japonaises. Dès la fin de la guerre, plusieurs acteurs se sont mobilisés pour prendre soin de ces morts, en particulier des moines bouddhistes Coréens ou Japonais. Après être longtemps restée l’affaire de quelques religieux et associations, la prise en charge de ces morts est devenue un enjeu de plus en plus important au sein des deux pays, mobilisant un nombre croissant d’associations, de militants, de familles et, plus récemment, des instances gouvernementales, au point de compter parmi les importants points de discorde entre gouvernements sud-coréens et japonais. Avec la variété des acteurs qui se sont engagés pour prendre soin de ces morts, ainsi qu’avec l’évolution des sociétés, ont émergé des interprétations parfois difficilement conciliables de ce soin. Aux crémations bouddhiques ont notamment succédé les impératifs de préservation des corps en vue d’expertises médico-légales et de la recherche de descendants.

À partir d’analyses ethnographiques, j’analyse ici comment émergent et se concrétisent les devoirs envers ces morts historiquement chargés, pour différents acteurs qui n’entretiennent pas avec eux de relations familiales. Cette recherche explore donc le soin contemporain sous un de ses aspects cardinaux en Asie : le soin des morts. Elle s’intéresse à la manière dont les relations entre des vivants et des morts inconnus se nouent, comment prend forme la « responsabilité envers les morts », et comment elle se traduit dans différentes entreprises (exhumations, cérémonies, analyses médico-légales…). Elle éclaire ainsi comment la préoccupation pour le soin des morts existe en actes et comment les modalités de la prise en charge se définissent dans un contexte d’interaction : interaction entre des vivants porteurs de différentes préoccupations et des morts dont les caractéristiques peuvent faciliter ou bloquer certaines tentatives d’apaisement.

Florence Galmiche est maîtresse de conférences à l’Université de Paris (ex Paris 7-Diderot) et membre de l’UMR « Chine, Corée, Japon » (EHESS-CNRS-UP). Ses recherches s’inscrivent en anthropologie et portent sur la Corée, principalement sur deux thématiques. La première concerne le bouddhisme contemporain, les relations entre pratiques laïques et monastiques et la recherche d’une action sur le monde par les pratiques religieuses. La seconde porte sur la prise en charge de certains morts problématiques, à travers en particulier l’étude des exhumations et rapatriements des dépouilles de travailleurs mobilisés par la colonisation japonaise.

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Perpetuating the dearly loved trees. Vegetal propagation as an act of caring in Japan
Emilie Letouzey | Université Toulouse - Jean Jaurès - Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST)

#Mots-Clés : Japon, care des non humains, végétal, horticulture, foresterie, conceptions de la vie

En tant qu’activité de reproduction et d’entretien de plantes, d’animaux ou d’autres organismes, la domestication relève a priori du domaine du care, que la célèbre définition de Joan Tronto et Berenice Fisher (1990) étend aux non-humains. Pourtant, cette extension ne va pas de soi, en particulier dès lors que l’on observe les pratiques de près. Pour cette communication, je propose de partir de ce constat pour aborder un exemple au croisement de l’horticulture et de la foresterie, issu d’un projet postdoctoral en anthropologie. Il s’agit du cas d'arbres fameux (meiboku) esthétiquement et affectivement « chargés » – en l’occurrence des abricotiers (Prunus mume) pluricenternaires – qu’une grande entreprise reproduit au moyen de technologies de micro-culture en laboratoire, cela afin de les « protéger » et de les « perpétuer ». À rebours du soin horticole ordinaire, éphémère et discret, l’entreprise présente cette propagation comme une prouesse technique et la célèbre comme un événement. La promotion de ces projets fait appel à un foisonnant champ lexical du soin de la vie et de sa protection, qui rappelle celui des discours relevant des « conceptions de la vie » (seimeikan), particulièrement prégnants au Japon – « Prenons soin de la vie (inochi) ! », lit-on partout. Mais que penser de cette rhétorique lorsqu’elle est employée par une entreprise impliquée par ailleurs dans la déforestation en Asie du Sud-Est ? Prendre de soin de la vie, mais de quel soin et de quelles vies est-il question ? 

Parce qu’il rend visible l’exploitation des personnes et des ressources au profit d’autres (Sandra Laugier) et propose ainsi une théorie du bénéfice et du détriment ancrée dans les pratiques concrètes, le point de vue des études sur le care s’avère précieux pour réfléchir à ces questions. Quant au cas de la perpétuation des arbres fameux, l’étude des registres fondamentaux que sont les pratiques techniques et les discours permet d’interroger le décrochage violent que l’on ne cesse de constater entre d’une part la survalorisation de certains êtres vivants fortement individualisés et investis affectivement, et d’autre part l’exploitation industrielle massive du vivant – aujourd’hui majoritairement externalisée. Au Japon, mais aussi ailleurs, cette survalorisation des premiers ne contribuent-elle pas à maintenir dans l’ombre l’exploitation des seconds ? La notion d’ombre du care permet d’examiner cette corrélation.

Emilie Letouzey explore les relations aux plantes et les conceptions de la vie dans le Japon contemporain. Après une thèse sur l'horticulture traditionnelle et la gestion des pathologies du végétal dans la région d'Ōsaka, elle enquête actuellement sur l’aspect technique de la manipulation des plantes dans des contextes rituels ou industriels, en abordant le vivant végétal au Japon comme une « zone grise » de la vie. Elle est actuellement postdoctorante de la Fondation Fyssen au Département d'Anthropologie de l'Université Ōsaka.

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Collective and social care of ancestors as a necessity to sacrifice the self and the individual existence: a ritual paradox of the care for others in Buddhist rituals based on the choose of a scapegoat
Brigitte Steinmann | Université de Lille - Centre Lillois d'Études et de Recherches Sociologiques et Economiques (CLERSÉ)

#Mots-Clés : Ritual, theater, Buddhism, exorcism, sacrifice, ancestors, misfortune, sickness, socio, psychological representations, Nepal

The veneration of major figures of the Buddhist religion of some Nepalese populations, is centered around the recreation and final dissolution of both ferocious and pacific images of their gods and ancestors. Multiple dramas and rehearsals featuring the complex rules of the society and all the obstacles encountered by people in their day to day lives, are played theatrically and ritually under the guidance of their Head Lamas priests. Books and recitations used in such rituals, speak of fiercely combatting hordes of demons, enemies of the group, of eliminating a scapegoat and of using for this all the resources of a very high-mountain environment, though far away, eventually, from where the ceremony in question is performed. People claim loud and clear to have descended from kings who came from the top of an original mountain situated in the centre of the world and touching the sky. At the same time, they agree to choose one of their co-residents in the village, to load him with collective fears and sins and to chase him out of the community.

In order to take care of the whole group, these kinds of ritual and theatrical exorcisms propose, in reality, a paradoxical action to the population: while the goal is to eliminate a member of an opposing group, in order to restore health and prosperity to their own community, the ritual is based on the necessity to eliminate the very notion of 'self', through lectures and recitations of antique collections of Tibetan books, ritual invocations and the use of magical instruments.

The detailed example of such a ritual in Nepal, played in the last decades of the 20th century, will help us to analyze on one side, the kind of socio-psychological representations people have of a 'collective self' incarnated through effigies of ancestors (male and female). On another side, the kind of meaning the caring of a whole group confronted to sickness, woes and misfortune through the (symbolical or metaphorical) sacrifice of the individual life of a radical 'other', may have.

Brigitte Steinmann is Professor Emeritus of Anthropology and Asian Studies, and former director of an International Master’s Course of Anthropology at the University of Lille. She is a member of research laboratories affiliated to the CNRS in Lille and in Paris. She has conducted research in Nepal on and off since 1980, in Sikkim (India) and in Tibet since 1990. Her research concentrates on social organization, ritual, religion, ethnohistory, identity movements, and the culture and politics among Tamangs of Nepal, Lepchas of Sikkim and in Nepal more generally. She focused also on the impact of labour migrations, modernity and globalization. She has written several books and many articles in the field of Himalayan peoples and cultures. Her work combines critical social theory with a deep knowledge of ethnographic realities, including both oral and textual sources. Her last publication, together with M. S. Tamang and T. Gyalchan Lama, appeared in 1920 : « Exorcizing Ancestors, Conquering Heavan. Himalayan Rituals in Context », Kathmandu, Vajra pub. Dongol, Nepal.

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Caring for the Non-Humans: Animal Protection and the Politics of “Care” in Japan
Ioan Trifu | Université de Toulouse - Jean Jaurès

#Mots-Clés : Japon, animaux, protection, société civile, politique, législation, pouvoirs publics

Le souci d'autrui et les attitudes de bienveillance ne s'arrêtent pas aux frontières de l'espèce biologique. L'attention au reste du vivant, et particulièrement aux animaux, a acquis une ampleur et une vigueur nouvelles dans le monde contemporain, renforcées par les craintes de catastrophes à l'âge de l'anthropocène.

Au regard de la question animale, l'image généralement dessinée d'une nation non-occidentale comme le Japon paraît doublement réductrice. D'un côté, le pays est fréquemment fustigé par les médias occidentaux et les militants de la cause animale pour son traitement jugé atroce des non-humains, en particulier des mammifères marins. De l'autre, et tout aussi régulièrement, les Japonais sont ramenés à un rapport supposé ancestral de proximité et de respect de la nature, animaux inclus.

Pour autant, au cours des trois dernières décennies, l'archipel est d'abord devenu le lieu d'une lente reconfiguration des relations entre humains et animaux, où les dispositions et les pratiques du “care” tiennent un rôle central. A partir des années 1990, la place des animaux s'est en effet progressivement modifiée dans la société japonaise, notamment avec l'augmentation considérable du nombre de chiens et de chats. Souvent associé à des transformations du cadre familial, l'essor de l'animal de compagnie s'est accompagné d'une attention grandissante à la question du bien-être des animaux, symbolisée dans l'emploi de la notion d' “aigo” (protection bienveillante ou attentionnée).

Comment le concept de “care” permet-il d'analyser les formes prises par la protection animale au Japon ? Et qu'est-ce que l'étude de la protection animale peut nous révéler sur la politique du “care” dans l'archipel ? Sur la base d'une série d'enquêtes de terrain menées depuis plusieurs années, cette communication s'intéresse à ces questions, en se focalisant sur les évolutions récentes de la législation protégeant les animaux et de son application. La protection animale marque l'apparition d'une nouvelle dimension pour le “care” au Japon, aussi bien dans son objet que par ses acteurs, entraînant des renégociations des rapports entre société civile et pouvoirs publics. En filigrane, cependant, elle laisse aussi apparaître, dans les abus divers qui frappent les animaux, les limites auxquelles le “care” fait face dans le pays.

Docteur en science politique de l’université de Lyon et de l’université du Tôhoku (Japon), Ioan Trifu est actuellement ATER en études japonaises à l’université Toulouse Jean Jaurès. Après une thèse sur le gouvernement du local au Japon, il a été chercheur postdoctoral à l’université de Francfort-sur-le-Main (Allemagne) puis à l’université de Tokyo. Il a également été chercheur invité dans plusieurs universités japonaises dont l’université Hitotsubashi et l’université Seijô. Spécialiste de la politique japonaise, il travaille à une socio-histoire de l’action publique avec une attention particulière aux effets des jeux d’échelle (du local au global) et au rôle des émotions en politique. Outre les collectivités locales, ses travaux l’ont conduit à étudier la protection du patrimoine et celle des animaux, notamment en situation de catastrophe. Ses recherches postdoctorales, dont celles présentées ici sur les animaux, ont été financées par la Fondation Volkswagen, par la Société Japonaise pour la Promotion de la Science (JSPS) et par la Fondation du Japon.

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